Category

Chroniques BD

Home / Chroniques BD
Chroniques BD

La fille de la plage (Inio Asano)

Dans une petite ville de province japonaise, Koume Satô et Isobe Kosuke, collégiens de dernière année découvrent les joies et les plaisirs de l’amour charnel. Cependant, leur relation n’est pas basée sur l’amour mais plutôt sur le partage d’un mal-être. Inio Asano renoue avec le thème de la jeunesse en quête de repères dans un manga érotique de grande qualité (et pas seulement pour son côté érotique). Ma première rencontre avec Inio Asano, mangaka fort apprécié des critiques et du public, fut une franche déception. Pour plus de détails, je vous invite à lire ma chronique de Solanin. Malgré les imprécations de mon confrère Zorg, je n’étais pas vraiment enthousiaste à l’idée de me replonger dans l’une de ses œuvres. Mais, au hasard de la préparation d’une formation, je cherchais des exemples de cette nouvelle BD érotique dont l’approche consiste à intégrer le sexe au sein d’une histoire cohérente plutôt que passer son temps à empiler des situations scabreuses. Après Comtesse d’Aude Picault ou Les Melons de la colère de Bastien Vivès, j’entreprenais la lecture de La fille de la plage avec l’œil froid (enfin froid…) du type pas convaincu. Dans mes souvenirs (j’avoue… j’ai cliqué sur le lien inséré dans mon premier paragraphe), ma principale critique avait porté sur la narration. En revanche, j’avais été plutôt séduit par l’aspect graphique. Dès les premières planches, je suis immédiatement retombé sous le charme d’un univers esthétique évoluant entre douceur et contraste. D’un côté, le décor est très réaliste, quasi-photographique, de l’autre le mangaka propose des personnages aux corps longilignes mais aux visages ronds et expressifs. Ces disparités participent à l’instauration d’une atmosphère toute particulière où nos deux personnages principaux semblent constamment en décalage avec le monde dans lequel ils évoluent. Ce climat permet au récit de prendre toute sa mesure. L’histoire commence quelques heures après leur première relation sexuelle sur une petite plage sans charme. Elle, Koume Sato est une jeune fille ordinaire qui vient de subir une humiliation de la parti du beau gosse du collège. Lui, Isobe Kosuke, n’est pas originaire de la région et ne s’est jamais intégré dans cette petite ville de province. S’ils sont dans le même collège, ils n’ont rien en commun et leur histoire semble même fortement improbable… Mais contrairement à Solanin, j’ai été cette fois séduit et profondément touché par cette relation adolescente. Par la grâce d’une écriture tout en finesse répondant parfaitement à son univers graphique, Inio Asano nous entraine dans son monde où la découverte de la passion charnelle s’accompagne d’une mélancolie profonde. Ici, et surtout dans le premier volume, le sexe devient un moyen de s’échapper du quotidien, d’oublier ce « spleen » qui marque les deux protagonistes. A partir d’une base  simple, le mangaka développe son histoire dans un quasi huis-clos où les personnages secondaires jouent un rôle presque insignifiant. Hormis pour faire rebondir l’histoire, Inio Asano s’appuie surtout sur la relation psychologique entre ses deux héros. Si vers la fin du récit des figures prennent un peu plus de place, il s’agit toujours de mettre en avant cette danse subtile des corps et des esprits de Koume et Isobe. Le lien indéfinissable qui se créé entre eux devient peu à peu plus clair. En terminant la dernière page d’un ultime chapitre particulièrement réussi  – Asano a été l’assistant de Shin Takahashi (Larme Ultime) et il partage visiblement avec son maître l’art de conclure les histoires –  il nous reste une impression de sincérité étonnante et profondément marquante. Une belle réussite qui me permet surtout de prendre enfin la pleine mesure du talent de ce mangaka. Enfin. A découvrir : La fiche album chez Imho A lire : les chroniques d’Yvan et du9 A feuilleter : quelques extraits

La fille de la plage (2 volumes, série terminée) Scénario et dessins : Inio Asano Editions : IMHO, 2015 Éditions originales : Otta Shupan, 2009 Public : Adulte Pour les bibliothécaires : série courte de qualité, certaines scènes un peu crues peuvent heurter les publics jeunes (et leurs parents). Donc, sortez couverts !

Chroniques BD

Les aventures : planches à la première personne (Jimmy Beaulieu)

De 1998 à 2014, Jimmy Beaulieu, auteur important de la bande dessinée québécoise, a tenu des carnets. D’histoires au jour le jour, elles sont devenues peu à peu une véritable œuvre autobiographique témoignant de 20 ans de vie. Ou comment de Québec à Montréal en passant par Angoulême, le jeune Jimmy devint un  homme.

En 2012, Les Impressions Nouvelles, nous ont proposé un recueil des dessins érotiques issus des carnets de Jimmy Beaulieu, Le temps des siestes. En janvier 2015, elles réitèrent leur coup avec ce beau pavé de 350 planches regroupant les carnets personnels (accompagnées de pages inédites). Déjà publié en partie chez Mécanique Générale sous les titres Quelques Pelures, Le moral des troupes et Le Roi-cafard, c’est donc dans un même ensemble que nous retrouvons l’auteur du très très bon Comédie Sentimentale Pornographique (publié lui chez Delcourt en 2011). Au passage, je tiens à le remercier pour ce dernier titre. Car, grâce à ses mots-clefs bien sentis, il m’apporte un nombre de passage non-négligeable sur IDDBD. Je pourrais lui soumettre un certain nombre de futurs mots à retenir pour son prochain album s’il le souhaite. Merci le référencement intelligent…

Mais je digresse et je pense déjà avoir perdu quelques lecteurs. Et pourquoi n’aurais-je pas le droit aussi de raconter ma vie ? Après tout, ça ne marche pas si mal pour Jimmy Beaulieu. Il nous expose sa vie, sa famille, son départ de Québec la belle pour Montréal la gigantesque, son travail de libraire puis le lancement de Mécanique Générale (sa petite maison d’édition), ses premiers succès, ses premiers voyages en France et surtout, surtout sa vie sentimentale. Et qu’elle fut longue et compliquée durant des années ! Difficile d’être l’ami-confident (la pire des places) ou le presque-amant maladroit (vient juste après dans la hiérarchie des places à éviter).

Mais il me semblerait manquer de respect à l’auteur en vous gâchant la surprise par l’évocation des grands événements de son récit personnel. Car non, on ne dévoile pas la vie de Jimmy Beaulieu ! Il suffit de le laisser agir afin de se passionner pour cette existence à la fois normale et riche de rencontres, d’événements, d’échanges et de choix. Je ne sais pas si Jimmy Beaulieu est un québécois ordinaire  mais, à l’image du Paul de Michel Rabagliati (il est juste impossible de ne pas y penser en lisant cet album) on a juste envie de passer une soirée à refaire le monde en sa compagnie et de déménager pour la belle province.

Mais outre, les histoires parfois douloureuses, émouvantes, essentielles ou anecdotiques, c’est bien tout son talent d’auteur de bande dessinée qui transparaît dans ces planches. Jimmy Beaulieu possède un vrai sens du rythme, du cadrage ainsi qu’une aisance certaine pour évoquer en quelques mots ses pensées et impressions. Il laisse le domaine de l’impalpable, des sensations ou de la sensualité (les jolies filles de ses albums précédents n’ont pas disparues) à un graphisme liant figuratif, naïveté, réalisme et un bon soupçon d’érotisme. Le résultat est à la fois beau, émouvant et prouve à tous les amateurs de romans que l’imagination n’est pas tuée par le dessin (mon dieu que cet argument m’agace quand je feuillette cet album).

Pour terminer, je ne peux que vous recommander de plonger les deux yeux, le cerveau, les mains et tout ce que vous voudrez dans ce recueil d’histoires autobiographiques. Réalisées parfois après plusieurs années d’écart avec les événements racontées, elles montrent toutes la créativité d’un auteur québécois important et sa capacité à mettre en œuvre la force narrative de la bande dessinée. Plus qu’un documentaire nombriliste, il fait de son alter-égo de papier un nouvel antihéros à la fois touchant, drôle et parfois un peu stupide. Il est vraiment facile de s’identifier à ce personnage. A cet égard, il se situe au niveau d’un Michel Rabbagliati ou d’une Julie Doucet, autres grands fleurons de la BD francophone outre-atlantique. BD, Québec, qualité… Pas mieux.

Je remercie Les Impressions Nouvelles pour cette redécouverte.

Les aventures : planches à la première personne (one-shot)
Scénario et dessins  : Jimmy Beaulieu
Editions : Les Impressions Nouvelles, 2015 (25€)

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : Complète bien les albums précédents de Jimmy Beaulieu.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Ulysse, les chants du retour (Jean Harambat)

Ô  lecteur, rappelle-toi le mythe d’Ulysse retrouvant son Ithaque dévastée par la cupidité des prétendants après 20 ans d’un exil douloureux. Rappelle-toi de son arrivée grimée par Athéna sous les traits d’un pauvre berger. Rappelle-toi de la reconquête du trône et du cœur de sa bien-aimée Pénélope. Découvre une relecture à la fois fidèle et originale de ce mythe fondateur de la culture occidental.

« Toutes les grandes œuvres sont des Iliades ou des Odyssées »

L’Odyssée ou « comment Ulysse a galéré pour rentrer chez lui après la guerre de Troie » fait partie de notre culture collective. Même sans avoir lu en profondeur les poèmes épiques du vieil Homère, qui n’a pas entendu un jour l’histoire du Cyclope ou l’effroyable récit des envoutantes mais mortelles sirènes ?

Dans Ulysse, les chants du retour,  Jean Harambat s’attaque à un plus de 2500 ans d’histoire littéraire. Il se concentre avec fidélité épisodes couvrant les aventures d’Ulysse sur Ithaque, soit les chants 13 à 24 (pardon XIII à XXIV ça fait plus classe) pour être précis. Mélangeant textes originaux et réinvention de dialogues, on retrouve les éléments narratifs qui ont fait de l’histoire d’Ulysse, un mythe traversant les âges : la figure du roi déchu,  la noblesse de la paysannerie, la fourberie des prétendants, la fidélité et la force de Pénélope, la vengeance implacable.

Côté graphisme, si j’ai parfois eu l’impression d’influence « Nouvelle BD » – notamment par trait et le traitement de la couleur qui rappellent un peu Christophe Blain ou Joann Sfar –  j’ai surtout apprécié le rappel de représentations issues des céramiques grecques antiques. A l’image de son écriture, Jean Harambat adapte avec modernité sans dénaturer. Résultat, l’ensemble est cohérent, fluide et efficace.

Mais quel est l’intérêt de cet album sinon une énième adaptation (réussie) d’un récit connu de tous ? Le lecteur attentif aura distingué ce petit détail surprenant sur la 4e de couverture : la présence d’une camionnette remplie de poule. Je ne suis pas spécialiste de nos amis gallinacés mais des poules au 10e siècle avant notre ère ça ne me choque pas. En revanche, une camionnette…

Le jeu de la double lecture

Quelle drôle d’idée ?! Non, rassurez-vous, Jean Harambat n’a pas craqué avant la fin ! Au contraire, il doit être assez content de lui avec son idée d’intercaler entre les chants homériques des petites histoires contemporaines où nous découvrons une galerie de personnage commentant le récit à leur manière. Ils sont historiens spécialistes des mythes grecs, bibliothécaire de l’unique établissement spécialisé sur Ithaque, cinéaste, ancien otage au Liban, journaliste, architecte, écrivain et j’en oublie sans doute.

Loin d’être des anachronismes, ces petites historiettes sont des respirations plus ou moins courtes qui créent le lien entre passé et présent, comme pour éclairer le fil rouge que forme cette histoire dans notre civilisation. En ajoutant ces petites passages, Il transforme complètement notre vision et, sans oublier la narration, il nous propose d’ouvrir les portes en nous fournissant des clés d’analyse. Ainsi, Ulysse, les chants du retour dépasse largement le cadre d’une mise en image de l’Odyssée.

Car ces différents aspects montrent les richesses de l’œuvre littéraire sans sa forme, sa construction et sa symbolique. Il interroge la figure héroïque d’Ulysse. Pourquoi est-il encore plus populaire qu’Achille, autre grand héros de la Guerre de Troie ? Pour son intelligence ? Ses aventures ? Pour ce côté ordinaire qui fait d’un roi grec un simple jouet du hasard, l’anti-héros qui peine à retrouver les siens. Là encore, on aborde des thèmes dépassant le temps. Le retour à la vie normale après de longues épreuves, revenir chez soi quand tout a changé durant son absence. Dans bien des aspects, ces mythes sont d’une incroyable modernité.

La qualité du travail de Jean Harambat repose là-dessus. Montrer la modernité, l’intemporalité des grands mythes fondateurs, donner des clefs, faire parler ensemble héros de l’histoire antique et humain du 21e siècle.  Un histoire universelle, grande et marquante. Un bel hommage. Superbe !

Un livre sélectionnée pour le FIBD 2015 et dans une moindre mesure, pour le prix « Hors les Murs » du festival de Darnétal 2015. Les votants sont les prisonniers des établissements de Haute-Normandie. C’est vous dire si le sujet du retour chez soi est parfois parlant.

A lire : les 32 premières pages sur le site d’Actes Sud

Ulysse, le chant du retour (one-shot)
Scénario et dessins : Jean Harambat
d’après Homère
Éditions : Actes Sud, 2014 (26€)

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : Essentiel.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Carnet du Pérou (Fabcaro)

En juillet 2012, Fabcaro entame un voyage vers le Pérou. Au grès de ses déplacements, il découvre un pays, un peuple et une culture qui lui étaient encore inconnus. De ce voyage est né un carnet. Un regard neuf d’occidental sur un monde nouveau. Une vision inédite et personnelle… Personnelle, oui, c’est bien le mot.

 Exercice de styles

Toujours à la pointe de l’actualité du 9e art, IDDBD vous propose aujourd’hui la chronique d’un album sélectionné à Angoulême… en 2014. Mais peu importe car comme celui-ci va bientôt être réédité, on ne fera semblant de rien. D’autant plus que KBD consacrera le mois de mars prochain à  6 pieds sous terre. Donc, voici un nombre non négligeable de bonnes raisons de se pencher sur ce drôle de livre.

Pourquoi « drôle de livre » ? Car, si vous me le permettez, Fabcaro est un clown. Ceci n’est pas une insulte mais un véritable hommage. J’aime chez ces personnages leur courageuse impudeur pour pénétrer dans notre monde bien rangé et mettre le plus grand bazar possible. Pour nous faire rire, nous émouvoir, nous permettre de pointer nos imperfections à travers les leurs. Tout  ce qu’a produit  l’auteur en commettant ce livre.

Le carnet de voyage, c’est la noblesse de l’écrivain, l’exotisme du voyageur, l’enivrante découverte et l’intériorité du regard, un genre aussi vieux que la littérature. Cet exercice montre toute la finesse, l’intelligence et la sensibilité d’un auteur. Les plus grands, auteurs de BD compris, s’y sont attelés. A son tour, Fabcaro débarque dans cet univers avec tout le sérieux nécessaire… et un petit détail qui ne trompe pas : son nez rouge.

Du non bon usage d’un carnet de voyage

Car oui, Monsieur, vous êtes un clown et cela vous va très bien !  Au-delà des apparences d’une couverture et d’un objet soignés, ce voyage dépasse  le carnet d’anecdotes qui n’intéressent que son auteur. La génération blog est devenue spécialiste du style et je n’apprécie pas forcément. Alors, quand un dessinateur s’amuse avec ça, on peut parler de plaisir. D’ailleurs, le lecteur un peu perspicace  comprend dès le départ qu’il y a un deuxième voire troisième degrés à la lecture, rien qu’au ton volontairement emphatique. Ça ne prend pas ! Quand on chasse son naturel, celui-ci revient au galop avec tous les copains ! Et Fabcaro en possède 2 ou 3 qui participent aussi à l’aventure. Au milieu des dessins de leur copain, Fabrice Erre, James, Gilles Rochier, bref, des bons gars de la bande de 6 pieds, tracent quelques traits bien sentis.

Au milieu de fanfaronnades de créateur content d’eux-même, l’auteur nous montre avec impudeur ses petites névroses de créateur et ses grosses plantades. Et même avec cette matière, il joue pour tout à fait nous perdre entre réalité et fiction. Ceci n’est pas un carnet de voyage, c’est du poil à gratter.

Cependant, même si cet album est un drôle d’objet fait d’une accumulation d’éléments disparates, il n’en demeure pas moins cohérent et paradoxalement très fluide dans sa narration. Tout s’enchaine avec beaucoup de naturel et Fabcaro fait preuve d’une vraie maîtrise du média. Graphiquement, il s’amuse avec les styles, du réalisme au dessin le plus naïf et caricatural possible. Tout est là, même les clins d’œil amusés aux autres grands « voyageurs » du 9e art…

Au final, si vous sortez de ce carnet avec un véritable point de vue sur le Pérou, un conseil : arrêtez l’humour et retournez lire Le Figaro. Normalement c’est grand sourire et envie de vous replonger dans cette drôle d’expérience. Récit foutraque, anecdotes d’écriture, notes de réalisation d’un album, recueil d’œuvres tout aussi diverses que variées, support de photomontage, blagues potaches… C’est un peu tout, rien et surtout un joyeux bazar ! Surprises, rires et bizarreries à toutes les pages sont au rendez-vous d’un livre qui est vraiment à l’image de la production éditoriale de son éditeur : de l’humour exigeant sur la forme comme sur le fond. Un vrai grand coup de cœur pour bédéphiles au sens de l’humour averti !

A lire : bientôt la synthèse sur KBD

Carnet du Pérou (one-shot)
Scénario et dessins : Fabcaro
Editions : 6 pieds sous terre, 2013
Collection : Monotrème (Mini)

Public : adulte
Pour les bibliothécaires : un (très) drôle carnet de voyage. Un livre d’humour intelligent, c’est si rare 

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

L’enfance d’Alan (Emmanuel Guibert)

Avant de débarquer dans la France en guerre de 1944, Alan Ingram Cope a passé son enfance dans le Sud de la Californie. Portrait d’un jeune garçon dans l’Amérique des années folles, de la grande dépression et de l’Avant-Guerre.

Une histoire d’amitié c’est avant tout une histoire…

Il existe bien des façons de raconter l’histoire. On peut se borner à extrapoler sur des batailles, des drames politiques et géopolitiques de notre passé. Je ne doute pas de l’importance de ces récits, ni même de leur intérêt pour comprendre le monde actuel. Mais ils se bornent souvent à la simple vision des « grands hommes » et négligent le quotidien, l’évolution des mentalités, des hommes et des femmes ordinaires. Non, pour moi l’histoire n’est pas qu’un simple enchainement de tueries et de haines.

Avec l’Enfance d’Alan, Emmanuel Guibert continue son cycle consacré à Alan Ingram Cope commencé en 2000 (La Guerre d’Alan, 3 volumes). Il raconte surtout l’histoire à travers le destin d’un homme simple, doté d’une personnalité teintée d’intelligence, de lucidité et d’autodérision. Ainsi, ce héros ordinaire, décédé en 1999, était le sujet idéal pour raconter une « autre histoire. »

Mais plus important encore, l’histoire de ces livres est avant tout lié à une amitié entre le vétéran et l’auteur de bande dessinée. Cette rencontre est essentielle dans la vie et dans l’œuvre d’un des auteurs les plus discrets de la génération Nouvelle BD. Discret mais pas moins talentueux. Véritable esthète de la BD, Emmanuel Guibert cultive son goût pour les rencontres et les contrepieds dans un univers créatif très varié. D’Ariol à la Fille du professeur, du Photographe aux Sardines de l’Espace, de la Revue Lapin (où il pré-publie La Guerre d’Alan) à Japonais, un recueil de texte illustré, il a montré au cours de sa carrière son incroyable palette graphique et narrative.

Voix d’Alan, trait d’Emmanuel

Avec cet album, Emmanuel Guibert renoue avec un style épuré et une composition simple. Il propose peu de dialogues mais des récitatifs qui composent la « voix d’Alan ». Sous la plume du dessinateur, il est le narrateur. Ce dernier raconte, explique, précise, part dans des digressions et nous renvoie à plus tard. Quelques pages plus loin, le fil de l’histoire reprend et nous nous retrouvons au sein d’une famille américaine de Californie du Sud avec ses histoires de famille, ses traditions, ses amitiés et ses drames aussi.

Dans ce monologue d’une grande fluidité, l’auteur cherche à laisser toute sa place au héros. Mais la touche Guibert demeure. Utilisant toutes ses qualités de dessinateur, il joue avec les codes de la bande dessinée. Capable de faire disparaître totalement le décor pour laisser la seule place aux personnages décrits dans un effet de zoom, il peut quelques pages plus loin nous proposer une planche d’un réalisme quasi-photographique d’une nature sauvage, d’une rue de banlieue ou d’un vieux cliché.

Ainsi, par ce jeu constant entre récit graphique et narration, nous sommes plongés dans cette histoire très personnelle. Peu à peu, elle devient la nôtre, nous nous attachons aux personnages et aux situations. A l’image d’une couverture tout en simplicité, l’œuvre réalisée par Emmanuel Guibert est passionnante, aboutie, profonde d’humanité. Une œuvre à l’image d’un auteur majeur de la bande dessinée contemporaine. Un album récompensé à juste titre du Prix des journalistes de l’ACBD en 2013.

A voir : la fiche album (avec des extraits) sur le site de L’Association

L’enfance d’Alan (one-shot)
D’après les souvenirs d’Alan Ingram Cope
Scénario et dessins : Emmanuel Guibert
Editions : L’Association, 2012 (19€)

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : dans la continuité de La Guerre d’Alan, incontournable.

Chroniques BD

Zéro pour l’éternité (Hyakuta & Sumoto)

A la mort de leur grand-mère, Kentarô et Keiko apprennent la vérité : leur véritable grand-père était pilote de chasse dans l’armée japonaise durant la seconde guerre mondiale. Il est mort dans une opération kamikaze. Keiko demande à son frère de se lancer sur la piste de cet aïeul dont ils ne connaissent rien. Une occasion pour Kentarô désabusé par des échecs successifs à un concours de la magistrature de retrouver et de faire parler les vétérans qui ont bien connu Kyûzo Miyabe. Lâche ou héros ? Le jeune homme va trouver bien plus que des réponses.

Drôle d’histoire ?

Adapté de l’œuvre originale de Naoki Hyakuta, qui signe également le scénario du manga, Zéro pour l’éternité nous plonge dans les mythes de l’histoire militaire que sont les fameux Zéro, les avions de chasse de l’armée japonaise dont le créateur a fait l’objet de l’ultime film de Hayao Miyazaki, mais aussi de ces fameux Kamikaze, jeune pilote envoyé à la mort par une armée japonaise en déroute.

Le postulat de départ du scénariste, qui pose la question à travers le discours d’un personnage journaliste ami de Keiko, est de s’interroger sur la réutilisation du terme « kamikaze » pour nommer les terroristes. Les kamikazes japonais étaient-ils des terroristes ? Dès le départ, j’ai trouvé cette question pour le moins incongrue pour une série qui se veut historique.  Comment peut-on comparer  deux périodes qui n’ont rien à voir, deux situations géopolitiques et sociales totalement différentes ? C’est quand même la base de l’interrogation historique d’éviter ce genre de question qui ne font jamais avancer les choses… à moins de vouloir justifier une réponse qu’on devine rapidement évidente et mettre en avant un nationalisme historique exacerbé. « Gloire aux jeunes héros qui ont sacrifié leur vie pour leur pays » serait-on tenter de dire…

Mémoire militaire

Mais peu importe après tout, l’idée principale étant de nous raconter l’histoire de l’aviation militaire durant la guerre du pacifique à travers les yeux de l’un de ses pilotes. De ce côté-là, il faut admettre la réussite du projet. Durant les entretiens de Kentarô avec les vétérans, nous découvrons pas à pas les victoires du début (notamment l’attaque de Pearl Harbor) puis les défaites traumatisantes jusqu’à la folie des opérations sans retour. Honneur, courage ou lâcheté, survie sont autant de mots qui reviennent sans cesse au travers des différents chapitres. Les témoignages des vétérans forment des séries de flashbacks impressionnant ou émouvant. D’ailleurs, la qualité des dessins, très réalistes pour du manga, participent vraiment à la réussite de cet aspect de l’histoire.

Clairement, le scénariste souhaitait jeter des ponts entre les générations afin de faire passer une sorte d’héritage spirituel auprès des jeunes. La figure de Miyabe, héros de guerre ou véritable lâche, est le lien qui unit ce jeune homme paumé aux vétérans.  Dès les premiers mots du texte, on comprend : cette quête permettra à Kentarô de s’épanouir en retrouvant les vraies valeurs, celles qui parsèment les témoignages des vétérans. Cependant, l’articulation entre présent et passé est particulièrement maladroite. Si, comme je l’expliquais plus haut, les flashbacks sont très bien réalisés, j’ai trouvé en revanche le présent bien trop lisse et fade. L’histoire personnelle de ce pauvre Kentarô, personnage sans grande profondeur comparé à la figure de son grand-père, ne provoque pas beaucoup d’empathie pour ses doutes et ses douleurs. Mention particulière au passage presque obligé où il rencontre une jeune fille charmante au hasard de son enquête. Forcément l’amour est aussi au rendez-vous de cette reconstruction. Là encore, on aurait pu s’en passer. Finalement, on arrive presque à se dire que cette quête servirait juste de prétexte à l’étalage d’une histoire militaire teintée de pseudo-conscience d’héroïsme national.

Pour conclure, c’est sans doute la première fois depuis que je rédige des chroniques sur IDDBD que je me pose sérieusement la question de l’idéologie sous-jacente à une histoire. Véritable livre d’histoire ou prêche militaro-nationaliste déguisé ? Difficile de le dire. Cependant, le côté histoire des faits militaires est, je pense sans pouvoir complètement le vérifier, tout à fait intéressant. Zéro pour l’éternité est un docu-fiction intéressant à découvrir malgré un côté fiction qui pêche un peu par la faiblesse de son héros et sa construction maladroite. Je suis sans doute un des rares à ne pas trouver ce titre inoubliable.

Zéro pour l’éternité (5 volumes, série terminée)
Titre original : Eien No Zero
Scénario : Naoki Hyakuta
Dessins : Souichi Sumoto
Editions : Delcourt, 2010
Editions originales : Futabasha, 2010

Public : Ado-adultes
Pour les bibliothécaires : Série courte mais je reste réservé sur l’idéologie de l’histoire.

Chroniques BD, Humeurs & blog

Maurice & Patapon (Charb)

Maurice & Patapon sont un peu comme Johan et Pirlouit Laurel & Hardy, Véronique & Davina, Black & Decker ou encore le père Lustucru et la mère Michèle. Ils forment un couple indissociable dans nos esprits instruits d’amateurs des belles choses, un grand couple de la littérature graphique française contemporaine, une des formes les plus méritoires de la bandéssinitude du 21e siècle, héritier direct de Töpffer, Pratt ou autres Moebius… Bref, c’est l’ultime forme de l’art séquentiel.

Faites-moi plaisir, lisez le post-chronicum en bas d’article. Non, mais c’est pour plus tard, je ne me suis pas cassé le *** à faire une chronique pour rien quand même ! Merci. C’est peut-être un peu long comme titre, non ?

Il ne faut pas plus de quelques cases pour comprendre. Oui, Maurice & Patapon est l’ultime chef d’œuvre que nous attendions tous depuis… Depuis toujours en fait. Sous la forme de petits strips, Charb interroge directement notre condition humaine à travers les discussions métaphoriques, philosophiques et poétiques de deux animaux. Chien et Chat, Maurice et Patapon. Qui mieux que ces êtres qui nous accompagnent au quotidien peuvent, sans sourciller, observer et juger nos actions, nos défauts, nos petites manies ?

En leur donnant la parole, Charb nous adresse un message d’une profonde pureté qui nous pousse à réfléchir au vivre-ensemble, à  nos interactions,  à nos différences et à nos fausses inimitiés. Avec son regard acéré, son don pour une composition complexe, son référentiel culturel profond et un trait totalement maîtrisé, il se moque de nous avec pudeur et respect. Pour toujours.

Oui, « Toujours » est bien le mot qui résume cette œuvre fondamentale, quasi-mystique, de celui qui entre aujourd’hui au Panthéon de nos certitudes d’amateur du beau. Cet auteur que nous  pleurons aujourd’hui, laisse à travers ses deux personnages un message de paix, d’amour et de légèreté. Le dessin de presse tout comme la bande dessinée sont là avant tout pour résonner dans les profondeurs de notre âme. Une lumière dans la nuit.

Nous garderons à jamais en tête ce dialogue éternel entre un Patapon couché sur un divan et un Maurice l’observant :

» – Chez moi, le cou, la tête, le dos, le ventre, les pattes sont des zones érogènes.
– Chez moi, c’est la bite. »

Hommage.

Maurice et Patapon
Dessins et Scénario : Charb
Editions : Hoebeke

Public : Grands amateurs
Pour les bibliothécaires : Indispensable dans toutes les bonnes BDthèques

Post-chronicum (je ne sais pas si ça existe mais ça fait classe) :

Cette semaine, je voulais reprendre une activité normale sur IDDBD. J’ai bien essayé mais j’étais incapable de vous parler de ceci ou de cela sans avoir une grosse boule au ventre et l’impression de trahir quelque chose. C’est ridicule, j’en conviens d’autant que je ne suis qu’un lecteur occasionnel de Charlie. J’aimais profondément le travail de Cabu, pas mal celui de Charb, un peu moins celui de Wolinski… La semaine dernière, ils ont tué ces personnes (et je n’oublie pas les autres) que je ne connaissais pas intimement mais qui comptait pour moi bien plus que je ne l’imaginais. Ils étaient là, rassurant, sans que j’ai besoin de poser les yeux sur leur travail. Un « au cas où » qui me rendait inconsciemment plus libre, un garde-fou pour l’esprit… « Charlie, défends-moi » comme chantait Noir Désir.

Alors, après ma réaction pleine de colère la semaine dernière, voici cette chronique faussement emphatique. Pas un hommage mais un humble pied de nez aux « Charlie de la nouvelle heure » pour se moquer gentiment des opportunistes, des profiteurs, des sans-gênes de l’esprit qui réunissent les autres derrière leur drapeau à la moindre occasion pour flatter leurs égos et leurs bonnes consciences. Ceux qui trouveront tellement formidables les anti-aventures de Maurice et Patapon et en feront de belles chroniques avant de les oublier dans un coin au grès de nouveaux combats.

C’est quoi le message. Bisous à tous les Charlie, les non-Charlie, les surtout-pas-Charlie… voire même les cons, tiens ! Car « la haine ça n’apporte rien et elle viendra bien assez tôt » disait Renaud…

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Les vieux fourneaux (Lupano & Cauuet)

Antoine, Emile et Pierre sont de vieux amis, de très vieux amis, de très très très vieux amis même. Ancien syndicaliste, vieil aventurier ou anarchiste profond, ils ont tous les trois des personnalités et des caractères bien particuliers. A la mort de Lucette, la femme d’Antoine, ils se retrouvent après des années sans se voir… mais ce n’est pas l’unique évènement. En effet, un secret vieux de plusieurs dizaines d’années se révèle… et lance nos camarades sur les routes accompagnées de Sophie, petite-fille d’Antoine, enceinte… et qui a hérité du bon caractère de sa grand-mère (c’est de famille).

Retour vers le passé

Nous avions commencé l’année sur IDDBD en vous proposant mon coup de cœur pour de l’année 2013, le très bon Mon ami Dahmer de Derf Backderf. Pour la dernière chronique annuelle, on remet le couvert la série qui nous aura marqué en 2014 : Les vieux fourneaux de Wilfrid Lupano au scénario et Paul Cauuet aux dessins (et couleurs).

On entend ici et là que la bande dessinée d’humour classique pour adulte se perd. Convenu, facile, lourd sont des adjectifs qui reviennent souvent dans les discussions. C’est vrai que si on se limite aux collections qui passent en revue toutes les professions (en particulier de la fonction publique) qui sont à l’humour ce que la musique militaire est à la musique, qu’on admet que la grande époque de Fluide Glacial est plutôt derrière nous (pas complètement mais…) et qu’on ne peut vraisemblablement pas obliger Goossens à faire 5 ou 6 albums par an, il faut avouer qu’on se marre de bon cœur avec plus de difficultés qu’il y a plusieurs années. Pourquoi ? A l’aune de l’histoire de la BD adulte, on pourrait éventuellement l’expliquer par le fait qu’elle est sortie définitivement du carcan « jeunesse » dans lequel elle était empêtrée avec les années Gotlib et consort… Je vous dis ça mais en fait, je n’en sais rien. Est-ce que les formules des anciens ne se perdent pas au fil du temps ?

Racines du rire

Visiblement, ce n’est pas le cas avec Les Vieux fourneaux. Pour rappel, cette série a presque reçu un quasi-plébiscite lors du prix des libraires 2014 (et pour la 2e fois consécutive au même scénariste d’ailleurs). Comme disait ma grand-tante Agathe : c’est dans les vieilles marmites… mais vous connaissez la suite. En lisant les deux premiers albums, j’ai immédiatement pensé à l’amour que l’on porte souvent aux vieux emmerdeurs dans les histoires en France. Les deux papys du Muppet show, les anciens du village corse d’Astérix et bien entendu, les héros de Les Vieux de la Vieille », roman de René Fallet adapté en 1960 par Gilles Grangier (avec Jean Gabin notamment). Trois vieux caractériels, une histoire bornée de bons mots et de franches rigolades…

Oui, je vous assure, il y a un air !

Oui, Les Vieux fourneaux, c’est exactement ça : des dialogues du tonnerre qui sentent le Michel Audiard, des quiproquos et des coups de sang pour finalement aboutir à une belle histoire d’amitié mais aussi de transmission avec la nouvelle génération – par le personnage de Sophie – qui semblent bien valoir la première. Au passage, les deux « pétages de plomb » en 4e de couverture proviennent bien du seul personnage féminin de – de 80 ans de cette histoire. Au bout du compte, on rit et on s’amuse avec ces personnages qui ne se refusent plus rien. Des dialogues et un scénario vraiment bien servi par un dessin comme seule la BD franco-belge est capable de sortir. Un dessin héritier des meilleures années Spirou où le réalisme s’accompagne de vraies caricatures (franchement nos héros ont des vrais gueules) tout en conservant un vrai dynamisme. C’est vraiment agréable, lisible tout en étant détaillé. Il y a parfois du Franquin dans le dessin de Paul Cauuet.

La place du vieux clown

Mais au-delà des apparences comiques, cette série ne propose pas uniquement une galerie de clown. Ses personnages ont une vraie histoire, positive ou négative, que chacun emporte avec lui. Ne pas profiter de leur expérience, de leur vécu, aurait été une vraie erreur de scénario. Cet écueil, Wilfrid Lupano l’évite avec beaucoup de maestria et en fait même le principal moteur de ses deux albums. Autre point fort, et je terminerai cette chronique (et l’année 2014) sur ce point, il ne s’agit pas ici de parler de vieux nostalgiques. Les personnages, même s’ils ont certaines préoccupations de leur âge, reste très ancré dans le monde actuel. Certes, il y a leur lien avec Sophie, la jeunesse prenant le relais un peu utopiste de leurs vieilles idées, mais ils sont toujours bien présent et tiennent leur rôle de vieux sages, de vieux philosophes… ou plus simplement de vieux emmerdeurs (oui, j’ai dit deux fois emmerdeurs dans cette chronique mais ils le valent bien). Bref, une place que l’on ne laisse plus beaucoup au 3e ou 4e âge aujourd’hui. Je pense en avoir assez dit pour cette série. Ouvrez, lisez, riez… On ne fait pas plus simple. Je n’aurais qu’un mot pour terminer cette chronique : bonne année 2015 à vous tous ! A lire : la synthèse des Kamarades de K.BD

Les Vieux fourneaux (2 volumes, en cours) Scénario : Wilfrid Lupano Dessins et couleurs : Paul Cauuet Editions : Dargaud, 2014 (12€) Public : Ado-adulte Pour les bibliothécaires : Prix des libraires 2014. Indispensable !

Chroniques BD

Projet Crocodiles (Thomas Matthieu)

Pour les hommes c’est une sorte de légende urbaine colportée par des féministes castratrices, pour les femmes c’est une réalité dans la rue, au travail ou en soirée. Sifflements, insultes, provocations, propositions inconvenantes voire violences physiques, Thomas Matthieu propose sur son blog Projet Crocodiles de mettre en bande dessinée les histoires vraies de harcèlement et de sexisme ordinaire. Une leçon qui trouve un écho aujourd’hui en version papier.  Cela fait plusieurs mois que j’ai découvert le Projet Crocodiles et quelques temps que je souhaitais vous en faire part. Malheureusement (ou heureusement), l’actualité m’a rattrapé quand le 24 novembre dernier, les élus du conseil municipal de Toulouse ont annulé l’exposition autour de la bande dessinée Les Crocodiles prévue pour la Journée Internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes pour des raisons « d’immoralité » et de « vulgarité ». Pincez-moi… Le projet Crocodiles, c’est une idée simple : mettre en bande dessinée, à partir de témoignages reçus par l’auteur, des histoires communes de harcèlement et de sexisme. Alors oui, comme le soulignent les élus toulousains, l’immoralité et la vulgarité sont bien présentes dans ces pages. Mais elles sont surtout dans les situations, les réactions et les propos de ces fameux crocodiles. Beaucoup moins dans le travail de Thomas Matthieu. Car ces adaptations sont en revanche d’une grande sobriété. Il adopte un style graphique simple loin des canons du réalisme. Ce choix lui permet de garder une certaine distance. Et n’oublions surtout pas cette pirouette graphique qui donne le nom à ce projet. En effet, qui sont ces fameux crocodiles verts évoluant dans ce monde gris et blanc ? La réponse est aussi simple que l’idée : les hommes, tous les hommes. Doit-on y voir une stigmatisation de la gente masculine ? Oui et non. Oui, car nous sommes tous potentiellement des crocodiles. Sans forcément aller jusqu’à l’agression, n’avons-nous pas déjà eu un comportement douteux ? Et non, car par cette pirouette graphique, Thomas Matthieu ne stigmatise pas de populations. Ni grand, ni petit, ni blanc, ni noir, ni jeunes, ni vieux… Ainsi pas de polémiques inutiles et un vrai recentrage sur le vrai problème.  Au fil des pages, l’auteur aborde de multiples situations de la vie quotidienne. Des transports en commun du matin aux soirées étudiantes, de la rue à l’entreprise, à la maison, nous découvrons des situations aussi multiples que surprenantes. Mais sont-elles vraiment surprenantes pour les femmes ? Pas certain. Quoi qu’il en soit, le sujet déborde parfois la forme ou le style et de mon point de vue, cette mise en image, même si j’imagine que certains y trouveront de multiples défauts, m’a aidé à prendre conscience la réalité des femmes qui partagent ma vie de près ou de loin, les grandes comme les petites. Elle m’a aidée également à saisir les possibilités qui me sont offertes pour faire bouger les choses. Car il semble bien que la seule solution valable soit de réagir face à des comportements douteux. Les siens comme ceux des autres.  Pour que des évènements comme le décès de cette jeune femme d’origine turque en Allemagne ne se reproduisent pas. Tugce Albayrack, 23 ans, avait porté secours à deux jeunes adolescentes agressées par trois hommes dans un fast-food. La jeune femme turque avait à son tour reçu un coup de batte de baseball. Elle est décédée quelques jours plus tard. A méditer en lisant ce travail sur Internet ou sur papier, à Toulouse ou ailleurs. Cette chronique entre dans un appel lancé par mon amie Mo’, toulousaine de son état, pour une mise en lumière sur la blogosphère littéraire. Comme souvent, je réponds aux bonnes idées citoyennes. Celle-ci l’est assurément ! Merci !

Le Projet Crocodiles est d’abord un blog > http://projetcrocodiles.tumblr.com/ Et maintenant un album papier : Les crocodiles (one-shot) Adaptations et dessins : Thomas Matthieu Editions : Le Lombard, 2014 Public : Adulte (et pourquoi pas ados tiens ?) Pour les bibliothécaires : une BD citoyenne indispensable

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Jane, le renard & moi (Arsenault & Britt)

Hélène est une fille à peine sortie de l’enfance qui subit harcèlement et intimidation de la part de ses « amies d’écoles ». Heureusement, pour l’aider à surmonter sa solitude, elle se réfugie dans le monde de Jane Eyre, dans le réconfort de sa mère et dans son imagination débordante. Avant de commencer cette chronique je tiens à remercier mes camarades de KBD qui m’ont poussé à relire Jane, le renard & moi sur lequel je m’étais arrêté distraitement il y a quelques mois. Fatigué, mal luné ou que sais-je ? J’avais lu et n’avais pas trouvé dans ces pages l’œuvre époustouflante dont tout le monde parlait. Je refermais donc l’album et passais à autre chose. A vrai dire, je suis peut-être un sombre blogolecteur de mauvaise foi mais il devait quand même me rester un soupçon de doute quand Mo’ proposa cet album à la lecture pour une future synthèse de KBD. Je m’inscrivais donc sur la liste en me disant qu’il faudrait bien une voix dissonante pour donner un peu de fil à retordre au rédacteur de la synthèse dominicale. Ainsi, installé sur mon canapé, je me replongeais dans la première bande dessinée du duo Isabelle Arsenault et Fanny Britt. Immédiatement, la magie opéra, m’emmenant dans cette école très commune où une enfant très commune se retrouve dans une situation, elle aussi, des plus communes. Retour vers le futur… et les mots de la petite Hélène, unique narratrice de l’histoire, qui résonne dans mon esprit. Ce sentiment de rejet que, vous, moi, elle, avons tous un jour connu avec plus ou moins de force. Et la cruauté des enfants. Et l’envie de trouver une échappatoire à l’ordinaire stupide et méchant. Les textes de Fanny Britt sont d’une justesse incroyable et prennent leurs aises grâce au travail d’illustration remarquable d’Isabelle Arsenault. Avec son utilisation très surprenante d’une couleur capable d’éclater au milieu d’un océan de gris, elle réussit à créer l’atmosphère nécessaire à l’épanouissement des mots. Une véritable osmose se créent naturellement entre les deux auteurs. Quand Hélène parle, le dessin d’Isabelle absorbe les non-dits, les descriptions, tout ce qui pourrait « polluer » ou alourdir le texte de Fanny. Mais quand le texte laisse toute la place, alors c’est une puissance créatrice – celle de l’imagination –  qui se réveille avec des doubles pages fantasmagoriques qui entrainent encore un peu plus le lecteur dans ce monde à la fois fabuleux et réaliste. Cette osmose entre les éléments graphiques et narratifs crée un album particulièrement fort, et surtout très juste. Tour à tour ou ensemble, les deux auteurs savent jouer sur les rythmes, sur la finesse des sentiments, sur les petits riens qui, sans être explicites, font toute la différence entre une simple histoire et un récit qui touche profondément. Et pourtant, si peu d’effets de style ! Beaucoup de simplicité – ou en tout cas d’épure – dans une forme qui définit pour moi toutes les qualités de la bande dessinée québécoise et plus largement nord-américaine. Si on connait depuis longtemps les qualités des auteurs américains, leurs cousins canadiens n’ont rien à leur envier. Avec un vrai souci du récit intime loin d’un nombrilisme de plus en plus pénible dans la BD européenne (dois-je vous reparler de Paul ?), une qualité graphique indéniable (ou de Jocelyn Houde ?), une forme d’autodérision et de fantaisie (au hasard Rémy Simard), on peut admettre qu’il se passe des choses Outre-Atlantique. Pour terminer sur Jane, le Renard & Moi, on ne peut être qu’admiratif devant ce travail d’une réelle justesse et d’un équilibre parfait. Un album qui saura toucher grand, petit, moyen, un travail à montrer aux apprentis auteurs. Ce récit parlera aux jeunes collégiens mal-à-l’aise dans leur peau, à leurs parents qui ont connu cela, à ceux qui l’ont fait subir aussi. Et puis, comme le monde n’est pas si noir, cette fable moderne a sa morale. Là aussi tout en naturel et en simplicité. A lire : les chroniques de Mo’, Lunch, Badelel et Bidib A découvrir : la fiche album sur le site de La Pastèque

Jane, le Renard et Moi (one-shot) Scénario : Fanny Britt Dessins : Isabelle Arsenault Editions : La Pastèque, 2012 Public : Tout public Pour les bibliothécaires : Vous ne l’avez pas encore ? En ados, en adultes, en jeunesse… ou vous voulez mais achetez-le ! Et faites ce qu’il faut pour le faire sortir !

1 2 3 15 16
Privacy Settings
We use cookies to enhance your experience while using our website. If you are using our Services via a browser you can restrict, block or remove cookies through your web browser settings. We also use content and scripts from third parties that may use tracking technologies. You can selectively provide your consent below to allow such third party embeds. For complete information about the cookies we use, data we collect and how we process them, please check our Privacy Policy
Youtube
Consent to display content from - Youtube
Vimeo
Consent to display content from - Vimeo
Google Maps
Consent to display content from - Google
Spotify
Consent to display content from - Spotify
Sound Cloud
Consent to display content from - Sound