Dans les nuits de Yokohama, un professeur cherche à sauver des enfants et des adolescents en pleine perdition. Portrait d’un homme, portrait d’une société entière et de leurs blessures.

Les profondeurs de la nuit

Comment choisit-on un livre dans une bibliothèque ? Parfois en se basant sur ses goûts, parfois au hasard. J’aime bien la seconde méthode, parfois de belles surprises qui m’amènent à chroniquer de très bons albums. Et Blessures nocturnes fait partie des très très bonnes surprises ! Le 10e et ultime volume est paru récemment, mettant un terme à l’histoire de Mizutani, un professeur de lycée du soir cherchant à aider les jeunes en difficulté. Ce dernier se fait appeler le guetteur. Mélange de légende urbaine et de héros nocturne, il est une figure connu des bandes de motards et des gangs de jeunes. Ce manga est adapté par Seiki Tsuchida du roman d’Osamu Mizutani. Et si vous vous demandez si ce Mizutani est le même que le héros, je vous répondrais oui. Toutes les histoires racontées sont basés sur des faits réels. De quoi faire très peur.

Car les auteurs dressent un constat particulièrement sombre de la jeunesse japonaise : abandon, mauvais traitement, harcèlement à l’école, drogues, viols, course à la réussite, pauvreté… Voici une liste non exhaustive (je n’ai lu que les 5 premiers volumes) des sujets abordés au cours des pérégrinations nocturnes du héros. Parfois, l’espoir est au bout. Mais il n’y a rien de systématique. Contrairement aux superhéros, le personnage principal ne gagne pas toujours à la fin. Erreur, mauvaise gestion, malchance, incompréhensions… par les défaites du héros, Blessures Nocturnes apparaît encore plus comme une fable humaniste.

L’intérêt de cette série se trouve justement dans cette démarche. Constitués de nouvelles allant d’un unique chapitre à 3 ou 4, les histoires racontées ne sont jamais joués d’avance. Quel sera le dénouement ? L’angoisse est là, la réponse ne viendra que dans les ultimes pages. On ressent l’inquiétude empathique du héros. Finalement, on se surprend à enchainer les chapitres, puis les histoires, tout est très cohérent malgré l’effet nouvelle. La lecture est fluide, agréable… presque surprenante !

 

Le pacte

Effectivement, je ne pensais pas être transporté de la sorte avec un sujet comme celui-ci. Et pourtant, j’ai dévoré les deux premiers volumes puis m’en suis voulu d’avoir laisser les autres à la médiathèque. Alors tour de force ou de passe-passe de la part des deux auteurs ?

Blessures Nocturnes ne glissent jamais dans les pentes savonneuses des pièges de ce genre de récit : la sensiblerie et le glauque. Le dessin de Seiki Tsuchida y est pour beaucoup. Si on lui reprochait parfois le côté glacial et figé de son trait (notamment dans Under the Same Moon), j’ai beaucoup apprécié sa précision presque chirurgicale. Tout est très propre, bien composé, lumineux et surtout très sobre. Il joue parfois la rupture et se laisse aller à de belles doubles planches. Mais le dessin est toujours au service du récit. Les personnages sont expressifs sans tomber dans un abus d’émotions. Il y a peu de visages en gros plan emplies de larmes. Je pense à une série comme Ikigami qui multipliait un peu trop ces effets à mon goût. On ne tombe jamais non plus dans le franchement pourri. Même dans les situations les plus compliqués, l’espoir est possible. Les univers décrits ne sont pas borderline. Blessures nocturnes est notre quotidien – enfin celui des japonais plutôt – rien de glauque, juste du réel. Dans cette série, on ne cherche pas à braquer vos émotions. Les auteurs font leur travail en racontant leurs histoires. Ils les transmettent avec tacts car elles sont déjà suffisamment tragiques pour ne pas faire de surenchères. Seules les interludes baptisés Soi toi-même avec de courtes phrases sont un peu moralisatrices mais ne gâchent pas vraiment l’ensemble. La traduction y est peut-être pour beaucoup.

Globalement, j’ai eu l’impression qu’un pacte inconscient avait été scellé entre Seiki Tsuchida, Osamu Mizutani et leurs lecteurs : « faites-nous confiance, laissez-nous vous raconter, à vous de voir ce que vous pourrez en tirer ». Quelle confiance dans son lectorat ! Mais plus j’avance dans cette histoire, moins cela me paraît surprenant tant elle correspond aux valeurs prônées tout au long de ce livre par cet héros du quotidien. Le Mizutani de papier force le respect. A l’écoute, ouvert, empathique, il n’impose pas, réussi à convaincre de l’intérêt de s’en sortir, et dispose lui aussi de son petit lot de souffrances qui le rend imparfait.

Je ne connais pas l’impact de ce livre au Japon. J’ose croire qu’il a pu être utile à quelqu’un. En tout cas, si je ne le conseille pas aux plus jeunes, le mettre dans les mains d’ados me paraîtrait assez intelligent. C’est beau un livre qui permet de réfléchir à la vie.

Blessures nocturnes (10 volumes – série terminée)
d’après le roman de Osamu Mizutani
Scénario : Osamu Mizutani
Dessins et adaptation : Seiki Tsuchida
Éditions : Casterman, 2008 (6,95€)
Titre original : Yomawari Sensei
Éditions originales : Shogakukan, 2005

Public : Ado (mature) et adulte
Pour les bibliothécaires : une excellente série plutôt courte (10 volumes seulement). Des volumes qui peuvent se lire séparément le cas échéant. Idéal !

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