Japon, 1603. Jiro, un charbonnier, tombe par hasard sur un cadavre transpercé d’une flèche, gisant à la croisée des chemins. Témoin de cette découverte, Kaze, rônin de passage,  décide de mener sa propre enquête, dut-elle mettre à mal « l’ordre établi ».

Les deux chemins

Pour une fois, je vais commencer par la fin, histoire de combler un petit sentiment d’absence qui subsiste une fois ce livre refermé…  Ce sont des points de suspension, un petit vide comme lorsqu’on sort d’un espace où les règles du jeu nous sont apparus à la fois précises et floues. Comment l’expliquer clairement ? Disons qu’au court de cette lecture,  l’impression de marcher sur une corde ne m’a jamais quitté. Car, plus qu’une histoire de samouraï détective, Kaze est un récit qui oscille constamment entre les cultures orientales et occidentales. Il suffit de voir le sous-titre pour comprendre l’idée force de cet album. L’enjeu ici est donc de savoir si cette corde imaginaire est un lien ou une limite.

Prenons le personnage principal par exemple. Matsuyama Kaze est  lui-même une double figure. Véritable représentant du samouraï errant cherchant à accomplir une improbable quête afin d’effacer son passé, il répond également aux caractéristiques habituelles du privé à l’anglo-saxonne : malicieux, à la fois fidèle et insoumis, tête brûlé et invincible. Bref, le héros à la présence rassurante et au charisme certain. Imaginez un peu Humphrey Bogart  avec un katana à la place du flingue arborant crânement un chignon en guise de chapeau mou !  Oui, ça fait un choc.

Alternances

Au départ, Kaze est l’adaptation du roman Death of the Crossroad (La promesse du samouraï en français) écrit par Dale Furutani, un américain d’origine asiatique. Ce dernier y mélangeait savamment deux  genres propres à chaque culture : d’un côté le récit de samouraï, de l’autre le polar à l’américaine basé sur l’intrigue et l’action. Chacun ayant ses propres codes narratifs avec ses habitudes et ses lecteurs, il semblait difficile de les faire cohabiter. Mais voilà, tout en se plongeant  dans le japon féodal, le lecteur se retrouve au milieu d’une véritable enquête moderne avec recherches de preuve, rebondissements et autres coups fourrés. On se dit alors que nous sommes bien loin des récits traditionnels japonais mais c’est sans compter sur ce rythme particulier, alternant les moments de calme et d’action, les moments de contemplations et d’actions. Ce rythme ne se base pas seulement sur une volonté narrative, elle répond à l’un des principes de l’art asiatique : la notion de plein et de vide. Le vide mettant en exergue le plein. Ecoutez la musique traditionnelle japonaise, vous vous rendrez compte de son importance. Importance, qui, comme le souligne Scott McCloud dans L’Art invisible, existe aussi dans les structures du manga. Et non, ce n’est pas un hasard !

Représenter sans (se) trahir

Reste l’histoire en elle-même. Bon, avouons-le, l’intrigue principale n’est sans doute pas à la hauteur des plus grands polars. Hormis quelques sous-quêtes, tout est cousu de fil blanc. C’est sans aucun doute la faiblesse principale de l’œuvre. Mais l’intérêt de cet album ne réside pas forcement dans le polar mais d’abord dans le portrait fidèle – presque ethnographique – du japon des débuts du shogunat Tokugawa. Il révèle ainsi une société très hiérarchisée, presque bloquée par les traditions et encore traumatisé par la guerre qui a pris fin juste quelques années plus tôt avec la bataille de Sekigahara. Et l’importance de cette bataille n’a absolument rien d’anecdotique, il s’agit même d’une des clefs du récit.

Pour finir, je finirai par le début (rappelez-vous j’ai commencé par la fin, logique non ?). Il faut souligner la très belle adaptation réalisée par Vincent Duteuil. Cet auteur belge ne se contente pas d’illustrer le roman, il y a créé un style à base de gros traits au fusain et d’aquarelles. Si son dessin prend une forme asiatisante, il ne cède toutefois aucunement à une facilité qui aurait pu paraître évidente : utiliser un style manga. Mais non. Il est resté fidèle à son statut d’auteur européen et a gardé les spécificités de l’école européenne (en particulier dans le découpage). A l’image de Dale Furutani, il opte pour la même corde suspendue entre deux univers et donne à son livre un aspect artistique beaucoup plus intéressant.

Pour conclure cette longue chronique et répondre à la question posé plus haut, Kaze, cadavre à la croisée des chemins, est une œuvre passerelle entre deux cultures. Se nourrissant de chacune, Dale Furutani puis Vincent Dutreuil ont réussi à créer un univers à part, passionnant par sa forme, intéressante par son aspect descriptif et plus anecdotique sur l’intrigue. Malgré ses faiblesses, on en ressort troublé et, pour ma part, enchanté. Un très joli album pour une maison d’édition qui nous a habituée à des œuvres graphiquement audacieuses (cf La Revanche de Bakamé).

A lire : la fiche album sur le site de la Boite à Bulles
A découvrir : les premières pages sur Digibidi
A lire absolument : la contre-chronique de ma copine Mo’ (ça va débattre dans les chaumières !)

A noter : Merci aux éditions La Boite à bulles et Les Agents Littéraires pour cette collaboration. Retrouvez cette chronique sur le site des Agents Littéraires.

adaptation et dessins : Vincent Dutreuil
d’après le roman Death of the Crossroad de Dale Furutani
Editions : La Boîte à Bulles (2011)

Collection : Champ Libre
Prix : 17€
Public : Ado-adulte
Pour les bibliothécaires : une très jolie adaptation, premier volume d’une série de 3.
Cependant, j’attendrai de voir l’évolution de la série avant de faire un choix.

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